Le Forum Bleu          Un conseil au hasard

Les vers réguliers ne sont pas obligatoires.

Mais ils ne sont pas interdits non plus.

Voici un exemple de poème qui utilise les sons & rythmes du langage sans pour autant être écrit en vers réguliers.

Toile de fond

Assis
Près du lit défait
L'enfant du défunt
Près de feu son père
Feint de faire du feu
Et debout
Près de l'enfant fou
Sous-alimenté et décalcifié
Près de l'enfant fou et du père glacé
Un prêtre parle de l'enfer
Et l'oiseau de la maison
L'oiseau de la masure
L'oiseau de la misère
L'oiseau qui meurt de faim
Dans sa cage de fer
Siffle qu'il s'en fout
Que c'est rien la faim
Que c'est rien le feu
Que c'est rien le fer
Et que cela ne vaut pas la peine de s'en faire
De s'en faire une miette
Une miette de pain
Une miette de faim
Une miette de fer
Et puis crève à son tour
Et sifflotant et sanglotant
Éclatant de rire hurlant aboyant
L'enfant fou tourne en rond
Autour de la cage
En jouant du tambour
Et puis tourne aussi tout autour du lit
Autour du lit-cage rouillé et pourri
Où le peu qui reste du père
Mort de fatigue de faim et de misère
Se corrompt
Misérablement
Le prêtre alors ouvre la fenêtre
Miserere miserere
Et l'aurore aux doigts de fée apparaît
Et de ses doigts de fée
Délicatement
Se bouche le nez.

                                Jacques Prévert


Voici un exemple de poème écrit en vers réguliers où l'utilisation du rythme est particulièrement efficace.

Les djinns

Murs, ville
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit.

La voix plus haute
Semble un grelot.
D'un nain qui saute
C'est le galop.
Il fuit, s'élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot.

La rumeur approche,
L'écho la redit.
C'est comme la cloche
D'un couvent maudit,
Comme un bruit de foule
Qui tonne et qui roule
Et tantôt s'écroule
Et tantôt grandit.

Dieu! La voix sépulcrale
Des Djinns!... - Quel bruit ils font!
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond!
Déjà s'éteint ma lampe,
Et l'ombre de la rampe..
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.

C'est l'essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant.
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.

Ils sont tout près! - Tenons fermée
Cette salle ou nous les narguons
Quel bruit dehors! Hideuse armée
De vampires et de dragons!
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée,
Tremble, à déraciner ses gonds.

Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure!
L'horrible essaim, poussé par l'aquillon,
Sans doute, o ciel! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon!

Prophète! Si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs!
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs!

Ils sont passés! - Leur cohorte
S'envole et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés!

De leurs ailes lointaines
Le battement décroît.
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.

D'étranges syllabes
Nous viennent encor.
Ainsi, des Arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s'élève,
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.

Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leur pas;
Leur essaim gronde;
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.

Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord;
C'est la plainte
Presque éteinte
D'une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit...
J'écoute: -
Tout fuit,
Tout passe;
L'espace
Efface
Le bruit.

                                Victor Hugo

Il ne faut pas confondre rythme et pulsation.
Il faut aussi des images.
D'autres informations concernant la définition de la poésie adoptée sur le forum bleu.